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Pourquoi l'art ?

L’homme a la mystérieuse capacité de s’approprier des souvenirs et évènements qui ne lui appartiennent pas. Il a même fondé son fonctionnement social sur cette capacité. On nous le répète souvent : pour éviter les erreurs du passé, il est important de ne pas oublier. L’oubli est d’ailleurs l’une des plus grandes peurs de l’homme, la mémoire est une aptitude qui nous différencie des autres êtres vivants. Il n’est pas inhabituel de rencontrer des personnes qui perpétuent des quêtes ayant débutées des milliers d’années auparavant. Comprendre le fonctionnement du monde qui nous entoure, comprendre le but de notre présence sur terre.

Les artistes font partie de cette catégorie de chercheurs, d’aventuriers. L’artiste de tout temps, de toute civilisation, de toute religion n’a toujours recherché qu’une chose : capter un instant, un instant hors du temps, hors de l’entendement même, un instant surnaturel et rare qui semble tout expliquer, révéler la vérité sur ce monde qui nous entoure. Cet instant, cet élément, éternel grand inconnu de l’équation humaine pourrait s’appeler la grâce. Je pense pouvoir affirmer que peu nombreuses sont les personnes qui l’ont trouvé. De plus, la trouver ne signifie pas forcément résoudre cette équation. Pour certains, la connaître est synonyme de grande douleur, de souffrance, d’angoisse et de désespoir. Si toute âme recherche la grâce, tout être n’est pas en mesure de supporter la compréhension de son existence. Trouver l’inconnu, trouver le sens, comprendre, l’homme est-il vraiment en mesure de le supporter ?

Les artistes qui ont pu trouver la grâce ou du moins l’apercevoir n’ont souvent pas pu le supporter ; soit parce que la compréhension du monde qui les entoure leur est tout à coup devenu insupportable, soit parce que les aléas de la vie leur ont ôté et qu’alors leur monde se voyait privé d’une résolution, d’une solution qu’ils ne pouvaient remplacer. Pourtant et sachant cela, éprouvant cela, les artistes n’ont pas réduit la vitesse de leur course. Aucun n’a arrêté les recherches, trop attiré par la flamme pour craindre de se consumer. Alors, toujours les artistes ont cherché : dans la religion, dans la pureté, dans la nature. Ils ont cherché cet instant qui mettrait l’humanité d’accord. Si leur quête fut tant appréciée, c’est parce que s’ils souhaitaient l’immortaliser, leur public lui, voulait la posséder. Les spectateurs veulent que cet instant soit rendu palpable, comme une garantie de son existence, en quelque sorte. Voilà à mon sens la raison de l’existence de l’art et de cet attachement que nous y portons.

En outre, l’art, en raison d’évolutions sociétales importantes (évolution des dirigeants, des mœurs, de l’État) est devenu à la fois un point spéculatif et un média supplémentaire, relégué au même rang que le journal, la radio ou la télévision. Avec l’arrivée de l’ère industrielle, il a commencé à s’éloigner de cette mission millénaire qui était de trouver et de montrer la grâce. Dans un monde où tout doit être simple, tout doit être rapide, tout doit être vrai, indubitable, un monde où rien ne doit être discuté par peur de l’erreur, l’artiste n’a plus sa place, il n’a plus de légitimité. La population anesthésiée pour ne pas avoir à songer au sens de son existence, se détourne de questionnements mis en avant par les génies du temps passé. La peur de se fourvoyer, la peur du mauvais choix est engloutie par des heures de divertissement facile et accessible. L’art contemporain abrite en son sein des artistes centrés sur leurs émotions personnelles, oubliant par là même le devoir de tout artiste, servir et travailler au bien de l’humanité, réunir et non séparer.

De mon point de vue, cette attitude ne peut pas être bénéfique, ni pour les artistes, ni pour leur public. Évidemment, ils ne peuvent pas changer le fonctionnement d’une société, mais personne n’attend cela d’eux. En revanche, ils peuvent apporter du soutien, même si c’est contre le mouvement général comme ce fut déjà le cas dans l’histoire, à tous ceux et celles qui s’accrochent à ces visions d’autrefois pour garder espoir. Ils peuvent soutenir et accompagner toutes ces âmes en souffrance pour leur redonner espoir et ne pas les laisser dériver dans ce monde qui les angoisse.

Je ne prétends pas être une artiste, encore moins pouvoir changer le monde, mais au travers de mes représentations, j’espère pouvoir aider au moins une personne à garder espoir, à ne pas abandonner. Notre histoire est belle, nos souvenirs sont grands, ne les laissons pas s’éteindre. Personne n’a jamais prétendu que ce serait facile, que l’existence était simple. Nous ne sommes pas immortels, mais l’humanité peut l’être si nous acceptons d’avoir le courage de transmettre et d’ajouter des souvenirs à l’histoire de l’humanité, si nous luttons contre l’oubli.

- Un pareil désarroi n'est point un effet de l'art car l'art respire la paix jusque dans l'agitation. -

Gogol, Nouvelle de Pétersbourg, Le portrait

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